La Lorraine et l’histoire du pastel
par
Chantale CALAND
Si l'on peut considérer certains procédés de l'art préhistorique, réalisé par nos ancêtres sur les parois des grottes, comme les premières apparitions de la peinture au pastel (les poudres de couleur utilisées étaient des minéraux ou des végétaux broyés), c'est vraisemblablement à la fin du Moyen-Age et au début de la Renaissance que le pastel a été utilisé en peinture, comme rehauts de couleurs de leurs dessins.
Heraclius (Xe-XIe siècles) dans son traité, donne une recette de ce que l'on peut considérer comme celle du pastel : "l'indigo Bagadel et le blanc d'Espagne sont mélangés, pilés sur une pierre dure, liés avec du blanc d'œuf ou de l'eau gommée". Cennini dans « Libre de l'Arte » (1437), donne une recette très voisine pour contrefaire l'azur d'Allemagne. Les premières sources citent en France un portrait au pastel de Jouvenel des Ursins, réalisé par Jean Fouquet vers 1465. Léonard de Vinci attribue à Jean Perréal, la révélation de la technique de la coloration à sec (folio 247 du Codex Atlanticus, Milan, Bibliothèque Ambrosiana vers 1495). Il réalisera la même année à Mantou le célèbre portrait d'Isabelle d'Este, un des tous premiers pastels qui nous soient parvenus. On peut encore citer Il Barrochio, et Hans Holbein de l'école allemande.
On trouve, entre autres, l’une des premières recettes de fabrication du pastel dans le « Syntaxeon mirabilis
artis » en 1574 de Petrus Grégorius, qui fut professeur de l’université de Pont-à-Mousson sous Charles III duc de Lorraine.
Au XVIème siècle, «on peut considérer que c'est Catherine de Médicis, alors dauphine de France soutenue par le roi son beau-père, qui imposa le pastel en demandant que les portraits soient
ressemblants, ce qui poussa les peintres à utiliser la « peinture sèche », nom donné au pastel à l'époque (issue des techniques de l'enluminure), pour colorer leurs dessins à la sanguine et à la pierre noire, avec des ocres, ou encore de la « fleur de
pastel » des teinturiers, ..." (Noun ).
"Louis XIII pratiqua le pastel, il aimait croquer ses courtisans, cela lui apportait un peu de détente dans les moments difficiles de son règne" (Noun). Un de ses pastels, le portrait de Claude Derruet, peut être vu au musée lorrain de Nancy, un autre au musée du Louvre.
A cette époque on peut dire que Charles Le Brun, Joseph Vivien, Robert Nanteuil ont montré les plus belles qualités à la pratique de ce médium.
L'art du pastel atteint son apogée au XVIIIème, le siècle des Lumières, notamment avec les portraits de Louis XV et de la famille royale, de Voltaire et de J.J. Rousseau par Maurice Quentin de la Tour, portraitiste du roi, surnommé à juste titre « le Prince des pastellistes ». Charles Blanc, critique d'art, dira de lui : "Dans ses portraits, les yeux brillent, les cheveux se soulèvent, les narines respirent, le front pense."
Se distinguent également par la qualité de leurs œuvres Jean-Siméon Chardin, Jean-Baptiste Perronneau, Jean-Baptiste Liotard, en Italie, Rosalba
Carriera entre autres. De nombreux portraits sont notamment visibles au musée Carnavalet ou au musée de Saint-Quentin dans l’Aisne.
Technique essentiellement vouée à l'art du portrait à cette époque, le pastel sec s’impose à partir de 1720, principalement par les qualités exceptionnelles de ce médium subtil et délicat qui permet, grâce à l'estompe et au talent du peintre, d'obtenir un rendu transparent et velouté de la peau et magnifie les jeux d'ombre et de lumière dans les velours et les soieries, à l'égal des plus beaux tableaux à l'huile.
L’attrait des peintres pour ce médium s’explique par la rapidité d’exécution qu’il permet, par l’apparition de nouveaux pigments (passage de l’alchimie à la chimie), par l’invention du fixatif, et encore, par les progrès de la production du verre plat permettant enfin la parfaite conservation des œuvres.
L'engouement pour le pastel est tel que
la plupart des nobles, des bourgeois, des officiers, des notables veulent à tout prix leur portrait au pastel ! On aurait dénombré plus de 200 pastellistes à Paris à cette époque !
Notre terre de Lorraine vit naître Charles-Alexis Huin, vers 1735 à Nancy, qui deviendra un pastelliste passionné. Il s'installe à Strasbourg en 1759, fabrique des bâtons de pastel et les vend dans son atelier, rue du Tonnelet, près de la cathédrale.
Il a été décrit comme un "élève oublié de Quentin Latour". Il peint avec talent les nobles de son époque et surtout leurs enfants.
Un portrait de sa fille Cunégonde, réalisé en 1785, se trouve à la bibliothèque humaniste de Sélestat, deux autres portraits (un
médecin et une gouvernante) au musée des Arts Décoratifs de Strasbourg (source : Archives Alsaciennes) .Il décède à Paris en 1796.
Le pastel (et l’aquarelle) font partie de l’éducation, ils sont enseignés à la cour des rois, aux jeunes princes et princesses, et deviennent l'apanage des élites.
Considéré comme l'art de la noblesse, il tombe de ce fait en désuétude avec la tourmente révolutionnaire française.
Avec le second empire, le XIXème siècle voit revenir en douceur la pratique du pastel. Séduits et inspirés par les pastels de Jean-François Millet, les artistes renouvellent leurs sujets, et l'on voit naître des scènes de genre, de rue, de nature, militaire ou inspirées de l'antiquité…
En Lorraine, Théodore Fantin-Latour, né en 1805 à Metz, portraitiste pastelliste, fit une carrière honorable et exposa régulièrement en France entre 1842 et 1866. Il étudia le dessin dans l'atelier du peintre Benjamin Rolland à l'école de Grenoble. Il donna à son jeune fils né de son mariage avec Hélène de Naidenhoff, fille adoptive de la comtesse Zoloff, ses premiers cours de dessin; celui-ci deviendra à Grenoble un peintre à l'huile de renom, Henri Fantin-Latour. Il décédera en 1872.
Charles-Louis GRATIA
Dix ans après Théodore Fantin-Latour, en 1815, naîtra à Rambervillers dans les Vosges, Charles-Louis Gratia, qui fut un des grands pastellistes de ce siècle.
Il entra à l'école des Beaux-Arts à Paris. Il se spécialisa dans le pastel et en devint un maître incontesté (il sera le portraitiste des enfants de Louis-Philippe).
L'historien d'art Charles Blanc a écrit sur son œuvre : "Il n'a pas de rival dans son genre, il sait lui donner la vigueur des coloris, l'harmonie, la chaleur de ton unie à la fraîcheur et au velouté des teintes. Il est en effet un maître et La Liseuse a provoqué bien des imitations."
Exilé en Angleterre avec sa famille, il travaille pendant 2 ans à composer des crayons pour la grande fabrique Neuman, où il broyait des pigments colorés. Neuman, voyant sa valeur, le sortit de l'ornière et l'aida à exposer. Son nom et sa réputation s'imposèrent rapidement. Il installa domicile et atelier au palais du cardinal Wiseman. Il fit une brillante série de portraits, dont celui de la reine Victoria, La Liseuse, réalisé en deux exemplaires dont un pour son fils, est visible à la Questure de la Chambre. C'est le portrait de sa fille Louise, 19 ans.
De retour en France, à Lunéville, après le décès de Louise et son divorce, il fit encore les portraits de George Sand, de la baronne de Rothschild et de Mgr Lavigerie, alors évêque de Nancy. Il donne des cours dans son atelier. Il envoie à l'exposition universelle de 1900 un douloureux "ecce homo" remarqué.
Auteur d'un traité de la peinture au pastel (1891), dans lequel il insiste sur la qualité des bâtons de pastel qu'il fabrique lui-même et dont il donne les recettes (format 21/15 cm, 50 pages, quelques extraits joints prochainement).
Une très grande toile d'un de ses élèves le représentant avec sa famille est visible sur les murs de la salle des fêtes de Rambervillers.
Quelques-unes de ses œuvres peuvent être admirées au Musée Lorrain de Nancy.
Il est également à l'initiative de la création de l'Association des Artistes Lorrains en 1892 qui perdure de nos jours et expose les artistes
contemporains toutes techniques confondues chaque année dans la magnifique salle
Poirel de Nancy. Il meurt à 95 ans, en 1911 à Montlignon, dans un grand dénuement, dans une maison de retraite pour artistes (il n'existait pas de système de protection sociale pour les artistes à cette époque).
Une rupture dans la façon de peindre a lieu vers 1860, au moment où l'avènement de la photographie permet de reproduire exactement la réalité. En peinture les courants académiques et avant-gardistes s’opposent, annonçant le mouvement impressionniste.
En Lorraine c'est avec le mouvement de
l'Ecole de Nancy que s'amorce l'Art Nouveau.
En 1885, Roger Ballu, membre de l'Association des artistes peintres, sculpteurs, architectes, graveurs et dessinateurs du baron Taylor (aujourd'hui Fondation Taylor) crée la « Société de Pastellistes Français », première société de pastellistes au monde, avec entre-autres membres Albert Besnard, Ernest Duez, Henri Gervex, Emile Levy, … C’est le succès immédiat.
Avec la première guerre mondiale un grand nombre de pastellistes ont disparu. C’est la fin de la mode du pastel qui laisse la place à l’art contemporain et ses nouvelles techniques.
En 1929, avec le
décès de son dernier président Henri Gervex la société, qui n’exposait plus qu’épisodiquement, disparait.
En 1984, Jean-Pierre
Mérat, passionné de pastel, crée et devient le président de la « Société des Pastellistes de France ». Elle forme de nouveaux artistes et fait connaître le pastel à travers des expositions internationales prestigieuses. La société fait alors la conquête des amateurs d'art du monde entier et continue sa croisade depuis 2010 avec sa
nouvelle présidente, Liliane Desmaret.
De nombreuses associations de pastel voient le jour en ce début du XXIème siècle, en France comme à l'étranger (on dénombre plus de 40 sociétés de pastellistes dans le monde), signe du dynamisme des artistes pastellistes et du renouveau incontestable de l'art du pastel.
Aujourd'hui les peintres exploitent le pastel avec une intense créativité et une absolue liberté, tant dans les sujets, les couleurs ou le style. Le figuratif et l'abstrait se côtoient avec bonheur dans les expositions, seules importent la qualité de l'œuvre, l'habileté du peintre et l'émotion ressentie.
Au niveau international, Sam Szafran,
Pierre Skira, Hans Hartung, Salvador Olmédo, Margaret Glas, Gil Dellinger,
Gwenneth Barth, Ken Paine, Claude Texier, Chris, entre autres, tiennent le haut de l'affiche.
On peut voir également le nom de prestigieux maitres pastellistes sur le site de la
Société des Pastellistes de France, ainsi que les plus beaux talents contemporains sur le
site de l'artiste Noun et de l’association Art du Pastel en France.
...............L'histoire du pastel,
une belle aventure à suivre........
L'auteur de cet article remercie Yves Anfreville, illustrateur et professeur de dessin, arrière-arrière-arrière-petit-fils de Charles-Louis Gratia pour l'amabilité avec laquelle il a accepté de répondre à nos questions concernant son trisaïeul et pour les informations précieuses qu'il nous a communiquées.
Elle remercie
également Noun, artiste peintre pastelliste et érudit, spécialiste de l'histoire de l'art du pastel, qui a accepté que l'on puise dans ses textes.
L'auteur s'est également inspiré des sites suivants, magnifiquement dédiés au pastel :
-www.jcbaumier.com (éléments de conférence de JP Mérat)
-www.wikipedia.com (histoire de l'art, histoire du pastel)
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Du 18 juin au 3 juillet 2022 :
Aux Estivales du pastel de Raon l'Etape.
Au Trait d'Union à Neufchâteau avec IsArtis.
A Vittel lors de la 36ème biennale d'ART'EAST, Daniel CALAND primé.